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La 15e édition du Festival des cinémas africain, asiatique et latino-américain de Milan a tenu toutes ses promesses.

Autant par la qualité des films programmés que par l’hommage appuyé que les organisateurs ont tenu à rendre au cinéma nigérian.

Ce n’est donc pas sans raison si les organisateurs de cette manifestation tricontinentale s’estiment confortés dans la judicieuse réorientation qu’ils ont imprimée à un festival qui, dans sa dimension originellement africaine, n’avait pas manqué de battre de l’aile. A l’instigation, on s’en doute, d’une production cinématographique continentale accusant un recul effarant bien que sempiternellement perfusée par quelques subsides européens, français notamment.
Même si les longs métrages en compétition sont apparus comme des films conventionnels et conformistes, à l’image surtout de Lakposhta ham parvaz (Prix spécial du jury) de Bahma Ghobadi (Iran). Un cinéaste kurde dont l’argumentaire semble prendre trop de raccourcis, surtout lorsqu’il donne à penser que l’arrivée des forces d’occupation américaines est vécue par le peuple irakien comme une libération. Toutefois, il y a lieu de souligner que le signifié du film est loin d’être sans intérêt. A plus forte raison lorsqu’il met en scène des réfugiés kurdes, soucieux plus que jamais de capitaliser le maximum d’informations sur leur futur à travers la télévision, le savoir-faire et la détermination de Kak, un garçon de treize ans expert en antennes paraboliques. Bien que par trop schématique, Lakposhta ham parvaz fait la part belle aux enfants du camp qui, pour survivre, désamorcent des mines avant de les revendre au marché du coin.
L’enfance est à l’honneur aussi dans Shangkhonad de Abu Sayyed. Venue du Bangladesh, cette œuvre raconte l’histoire d’un homme particulièrement marqué par son passé, un traumatisme injustement subi et qui le torture depuis son enfance. De retour dans son village, où il pensait vivre indéfiniment sous le couvert de l’anonymat, il apprendra à ses dépens qu’on ne saurait échapper à son propre destin, à plus forte raison lorsque les stigmates qu’il porte en lui sont autant de balises que ses détracteurs exploiteront sans vergogne pour le maintenir dans les méandres de la déstabilisation et de la négation.
Le premier prix de la 15e édition du Festival de Milan est allé à un autre film du continent asiatique, Okhotnik de Seik Aprymov (Kazakhstan). Une œuvre remarquable par sa dimension humaine autant par les véritables valeurs qui y sont déifiées que par la conception altruiste du bonheur qu’elle y promeut d’une manière éclatante.
Comme dans les précédents films, l’enfance y occupe une place de choix à travers l’histoire d’Erken et de sa prise en charge par un chasseur qui lui apprendra à reconnaître les signes de la nature, à survivre en d’autres termes dans un monde où les hommes et les animaux sont gouvernés avec les mêmes lois. Auteur, par ailleurs, de six autres longs métrages, Serik Aprymov a su échapper, grâce à une mise en scène sobre, à l’écueil du manichéisme. La séparation entre les deux amis est restituée d’une manière pathétique. Surtout lorsque Erken est appelé à retourner en ville pour sauver sa mère, avant de se faire arrêter, alors que le chasseur se lance seul sur les traces d’un loup solitaire qui sème la terreur parmi la population.
La dimension humaine est, dans le même ordre d’idées, au centre des préoccupations des cinémas latino-américains. Notamment dans Whisky, un film uruguayen de Juan Pablo Rebella et Pablo Stoll. Deuxième prix de cette importante manifestation, son énoncé met en scène une petite et pitoyable usine de chaussures où semblent se morfondre Jacobo et son humble et fidèle secrétaire. Du moins jusqu’au jour où la routine sera salutairement bousculée par l’arrivée d’un intrus, le propre frère du propriétaire des céans. Grâce à des touches intimistes, Rebella et Stoll ont réussi à nous entraîner dans des situations absurdes et hilarantes à la fois, des situations qui mettent expressément l’accent sur des considérations d’ordre relationnel et sur le recul de la fatalité.
Pour commettre son premier long métrage, Sergio Arau a planté son décor dans l’une des plus prestigieuses villes des Etats-Unis, San Francisco pour ne pas la désigner.
A l’évidence, le choix est loin d’être fortuit surtout que l’énoncé de cette œuvre, originale à bien des égards, raconte une histoire surprenante. Celle d’une Californie qui se réveille avec une incroyable sensation, la disparition soudaine de 14 millions de Mexicains. Un jour sans Mexicains — d’ailleurs le titre du film — met en scène des situations anachroniques rendues possibles par la paralysie politique, économique et sociale de tout un Etat. El Cielito reste indiscutablement le meilleur film de la région. Basé sur un fait divers dont un journal de Buenos Aires s’est fait largement l’écho, cette œuvre poignante à bien des égards met en images, en mots comme en silences, la rencontre extraordinaire de deux laissés-pour-compte, un jeune homme de vingt ans et un bébé qui se portent mutuellement secours.
C’est ce que met expressément en exergue Maria Victoria Menis, la réalisatrice, qui insiste longuement sur le fait que cela se passe dans un pays où chacun est livré à lui-même, sans projet, sans avenir, où la vie n’est qu’une affaire de survie personnelle. Au moment même où la relation entre les deux protagonistes du film semble faire figure d’exception, une tentative de rédemption. El Cielito fait partie de ces œuvres dont le mérite singulier consiste à proposer un éclairage original sur certains aspects de la nature humaine avec, en prime, de belles images et un rythme suffisamment rapide pour éviter les écueils engendrés, on s’en doute, par une problématique en relation étroite avec les dissonances sociétales.
Comme il fallait s’y attendre, la participation africaine n’a pas été particulièrement transcendante. S’il reflète un tant soit peu la troisième position qu’il occupe au palmarès de la 15e édition du Festival de Milan, le cinéma africain a, cependant, suscité un intérêt certain. Grâce, notamment, au succès remporté par le film marocain L’Enfant endormi. Sa réalisatrice, Yasmine Kassari, est restée fidèle à la problématique à l’honneur dans Quand les hommes pleurent, son premier long métrage.
L’œuvre primée à Milan apparaît, en effet, comme le pendant féminin et fictionnel de sa première production qu’elle consacra à des hommes de son pays prix dans l’impasse douloureuse de la clandestinité en Espagne. L’Enfant endormi illustre la même mise à nu, la même douleur, l’incompréhension des femmes, leur esseulement, leur dénuement, leur misère sexuelle.
Aux antipodes des raccourcis réducteurs imposés par des visions par trop manichéennes, Yasmine Kassari restitue avec la précision d’une documentariste les situations portées par un énoncé écrit pour décrire la vie de celles que leurs hommes ont abandonnées pour vivre l’expérience amère, quand elle n’est pas tragique, de l’émigration clandestine.
Le jury du long métrage de la 15e édition du Festival du cinéma africain, d’Asie et d’Amérique latine a fait l’unanimité. Tant par ses choix que par ses composantes avec à leur tête Wole Soyinca. Prix Nobel de la littérature en 1986, cet auteur nigérian est considéré comme l’un des meilleurs écrivains africains tant par la qualité que par la diversité de ses créations qui touchent le roman, les pièces de théâtre et l’essai littéraire. Le premier prix du court métrage est allé à Tsitsi Dangaremgba (Zimbabwe). L’énoncé de Kare Kare Zvako, c’est le titre du film, interprète les éléments macabres et magiques de la tradition populaire telle que rapportée par un récit shoma. Porté par un signifiant qui fait la part belle à la comédie musicale, l’œuvre primée met en scène un village africain ravagé par la famine et où le chef de famille tente de tuer sa femme pour se nourrir de sa chair. Le court métrage égyptien Nezra li sama de Kamla Abou Zikri a, pour sa part, obtenu le deuxième prix.
La compétition tricontinentale du documentaire a récompensé Arlit, deuxième Paris de Idrissa Mora-Kpaï (Bénin/Niger) et Acampamento de desminagem de Licinio Azevedo (Mozambique) alors que deux mentions ont été décernées à Nous les Irakiens de Abbas Fadhel (Iraq) et El Velo di Berta de Esteban Larrain. C’est la grande nouveauté de cette 15e édition, estiment Annamaria Gallone et Alessandra Speciale, directrices artistiques du Festival Milan : «Depuis toujours, le festival veut montrer une réalité de l’intérieur et la réalité d’aujourd’hui a plus que jamais besoin d’être racontée par des protagonistes et des témoins directs. Une réalité douloureuse et tourmentée comme est souvent le décor du quotidien de chacun des réalisateurs que nous accueillons au festival.»
Le deuxième prix du concours africain du documentaire a été attribué à Djamel Sellani pour son film Les Algériennes. Un portrait et une quête d’une génération de femmes pour qui le temps de la parole est venu, après 40 ans de silence absolu. L’Algérie a été aussi à l’honneur à la salle San Fedele, non loin de la Scala, au moment de la remise du prix de la ville de Venise à Belkacem Hadjadj pour son film El Manara, alors que le prix de la critique cinématographique a été attribué au film tunisien Visa-la dictée de Brahim Letaïef
Enfin, un hommage particulier a été rendu, en marge du Festival du cinéma de Milan, au Nigeria dont le boom de la vidéo a fait l’objet d’une intéressante table ronde, en présence de nombreux cinéastes, critiques et responsables du cinéma de ce pays.
Propulsée durant les années 1980, la production vidéo a eu un impact insondable sur la population. Une alternative salutaire à la disette cinématographique que la crise économique n’a pas manqué d’imposer aux pays du continent. Un exemple à suivre surtout, à plus forte raison dans un continent où la disparition du spectacle cinématographique semble graduellement programmée et où les perfusions européennes enregistrent un recul lourd de sens.
A l’évidence, l’initiative du COE, instance organisatrice du Festival du cinéma de Milan, est des plus louables quand elle n’est pas perspicace. Mieux, elle donne à réfléchir sérieusement sur les voies et moyens susceptibles d’être mobilisés pour faire reculer la fatalité et rompre avec les mécanismes traditionnels de fabrication d’un film. La thérapie existe donc sous le titre générique provocateur de Nollywood.
Elle a déjà fait ses preuves au Nigeria, au Ghana et au Kenya où a éclaté le phénomène de la vidéo. Des longs métrages y sont tournés avec de très modestes budgets, vendus ou loués directement en vidéocassette ou Dvd.
Des centaines de vidéos ont été réalisées au Ghana, le Nigeria en produit plus de mille par an indépendamment de l’assistance et des aides gouvernementales européennes, bien loin des festivals de cinéma occidentaux qui ont tant structuré la cinématographie africaine.

De notre Envoyé spécial à Milan Abdelhakim Meziani
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