Au pays des gueules noires
Marianne-en-ligne.fr
Quand le FN exploite à fond l'insécurité sociale
Nord-Pas-de-Calais.
Ex-salariés de Metaleurop, ils ont bien conscience, dans leur malheur, de ne pas être les plus mal lotis. Un plan social, des préretraites, des espoirs de dépollution et de réindustrialisation du site et, surtout, la force d'être restés solidaires... Ces victimes d'un « patron voyou » ont réagi à la fermeture express de leur usine quand d'autres, travailleurs du textile ou métallos, du Nord et du Pas-de-Calais, isolés, n'ont eu d'autre choix que de subir. Et pourtant, le jugement des uns et des autres sur le monde politique est sans appel, tout aussi implacable. Bernadette s'excuse. Elle emploie des mots qui ne sont pas « jolis » dans la bouche d'une femme. Mais la politesse n'est plus de mise quand elle doit décrire la campagne des régionales : « Ils vont au marché, au Salon de l'agriculture. Ils embrassent une petite vieille, caressent la tête d'une petite fille. Et ils sont contents. Mais qu'est-ce qu'ils croient ? Qu'on va encore longtemps se laisser... » Bernadette préfère s'arrêter là. Elle est de gauche, du moins elle l'a été, mais elle a « la rage » . Chez Metaleurop, elle était acheteuse. A trois ans de la retraite, elle venait d'emménager dans un nouveau pavillon quand la direction a déménagé à la cloche de bois. Avec son pendentif doré qui chatoie sur son chemisier sage, elle s'emporte comme une « caillera » : « Vous avez envie de leur mettre une bombe.»
Organisés en association groupe de pression, Choeur de fondeurs, les 830 salariés de Metaleurop voient défiler en procession tous les candidats. Celui qui dit : « Je le note » et s'en va. Celui qui dit : « Je m'en occupe» , et qu'on ne revoie pas. Celui qui ferait bien quelque chose, mais qui ne peut rien. « J'en ai assez, conclut Christian, 53 ans, ancien conducteur de locomotive et ex-gaulliste. J'hésite entre le FN et la gauche et pourtant Noenoeil [Le Pen, NDLR], c'est pas mon plat de résistance.»
Mais voilà, à écouter Bernadette, Christian, Jean-Louis et les autres, la gauche, PCF compris, ne peut plus se prévaloir du vote « contre » , de la contestation du système. Dans cette région, il est vrai, socialistes et communistes trustent depuis toujours les commandes locales. Les emplois qu'ils se flattent d'avoir créés dans le tertiaire, dans les services, dans la haute technologie ne consolent pas les ouvriers sur le carreau. Quant à la droite Raffarin, ses radiations de chômeurs et ses radars... Reste l'abstention, pour les plus raisonnables. Ou le FN. Carl Lang, tête de liste lepéniste dans la région, s'est mis de longue date en situation de récupérer ce vote de « rage » . « Pour les mettre sur le reculoir, ces politiciens-là, pour que ça bouge, pour que ça change, votez pour le Front national » , professait-il la semaine dernière devant une quarantaine de gueules cassées réunies dans une salle des faubourgs de Lens. Longuement, le député européen d'extrême droite a décrit « les conséquences de la politique ultralibérale, les délocalisations, la désindustrialisation, l'insécurité sociale » . « La gauche a trahi, elle est incapable de défendre ce qu'elle appelait la classe ouvrière » , a-t-il expliqué comme on fouaille une plaie, dénonçant notamment « la collusion entre un grand patronat qui a suscité l'immigration pour faire baisser les salaires et la gauche qui l'a encouragé au nom de son idéologie mondialiste» .
En écho nationaliste au slogan patriotique du PCF des années 70, le FN proclame aujourd'hui : « Produisons français, en France avec des Français. » Afin de stopper l'hémorragie électorale qui vide le PCF de ses dernières forces, le député Alain Bocquet vient de rompre avec l'aveuglement habituel des communistes en lançant un « appel solennel aux électeurs du FN» . « Au moment de voter le 21 mars, implore notamment la tête de liste communiste, exprimez votre colère la tête haute, comme l'ont fait vos parents. » Et si c'était déjà trop tard ?
A voir: "Au Pays des gueules noires, la fabrique du Front national" un documentaire d'Edouard Mills-Affif. Rens.: passerelles.prod@fr8e.fr
Auteur : Bernard Daniel